Brasil - França
30/01/2013

Français et Indiens : la première rencontre a eu lieu dans l’état de Santa Catarina

Présence française à São Francisco do Sul
Par : Mônica Cristina Corrêa (docteure en Littérature française– Université de São Paulo)

Traduction en français : Jean-François Brunenilère
Révision des textes en français : Jean-Pierre Guis

Peu après que Pedro Álvares Cabral ait rencontré la « terra brasilis », un capitaine français, Binot Paulmier de Gonneville, hissa les voiles dans son pays, dans la ville de Honfleur (24/06/1503) et partit, suivant les côtes de l’Afrique, à la recherche de territoires à explorer dans les Indes. Pour cela, les marins avaient même engagé en secret deux Portugais qui connaissaient bien la route. Mais une tempête, à la hauteur du Cap de Bonne Espérance, fit perdre son chemin à Gonneville et le conduisit à accoster en terres inconnues.

Sans même savoir exactement dans quelle région ils se trouvaient, Gonneville et son équipage quittèrent leur caravelle endommagée, l’Espoir, et tombèrent sur des Indiens, hospitaliers habitants de la forêt qui les aidèrent à réparer le navire et à se rétablir après ce voyage si pénible. Cette cohabitation allait se prolonger durant six mois et être  marquée avant tout par l’harmonie et la cordialité. Gonneville  et son équipage se trouvaient, sans le savoir, au sud du Brésil. L’agréable vie en commun entre les Français de l’Espoir et les Indiens Carijós (ou peut être les Jês, d’après les recherches de l’arquéologue Francisco Silva Noelli) se fit, selon Perrone-Moisés (As vinte luas, Cia. das Letras, 1992), d’une façon différente du reste de la colonisation, car elle ne fut pas marquée par des agressions. En effet, les Jês n’étant pas cannibales, ils n’auraient pas effrayé les Français. A Pâques de l’année 1504, le capitaine de Gonneville fit même planter une croix sur une colline avec l’aide des Indiens.

Après six mois de cohabitation, les Français décidèrent de retourner en Europe. Commes tous les explorateurs, obéissants à la coutume de l’époque, ils voulaient emmener quelques échantillons du Nouveau Monde avec eux, avant tout pour montrer à la Cour ce qu’ils avaient trouvé. Ainsi les navires repartaient chargés d’animaux, de plantes et d’autres choses. Y compris des personnes. Gonneville, par exemple, obtint l’autorisation du chef Arosca d’emmener le plus jeune de ses fils, un Indien adolescent de 15 ans, dont le nom était probablement Içá-Mirim (petite fourmi) et qui, prononcé à la française, s’est transformé en « Essomericq ». Avec lui est également venu un serviteur, Namoa. Arosca vit dans ce voyage l’opportunité pour son fils de s’instruire dans la « civilisation » des amis blancs (en particulier dans l’apprentissage de la manipulation des armes à feu) et le capitaine de Gonneville promit de lui rendre son fils dans « vingt lunes », conformément à la façon de compter des membres de la tribu.

Mais le retour fut marqué par des tragédies : vraisemblablement aux alentours de Porto Seguro, les Français tombèrent sur les Tupiniquins. Ceux-ci étaient cannibales et dévorèrent quelques imprudents qui prirent le risquent de descendre du navire. Une deuxième halte, plus au nord, leur permit de rencontrer les Tupinambas, déjà plus habitués à la présence européenne. Les Français furent alors plus précautionneux et réussirent à charger le navire de bois de braise et de quelques richesses.

Ce sont les pirates du canal de la Manche qui finalement décimèrent la flotte de  Gonneville. L’Espoir fut pillé et fit naufrage ; des 60 membres de l’équipage initial, seulement 31 réussirent à sauver leur vie. Parmi eux l’Indien Essomericq.  A ce moment là, l’Indien, tombé malade, avait déjà été baptisé durant le voyage du nom de son parrain, Binot Palmier de Gonneville. Son serviteur, Namoa, mourut à bord.

Du fait du traumatisme causé par ce voyage, le capitaine de Gonneville, commerçant et armateur, ne réussit pas à organiser le retour vers ces lointaines terres tropicales. Cependant, comme il avait donné sa parole au chef Arosca, le capitaine devait donner un destin prospère à son filleul. Il le fit donc héritier de ses armes et de ses biens, en le mariant avec quelqu’un de sa famille. De cette union, peut être la première entre les Européens et les Indiens brésiliens, sont nés 14 enfants. Et Essomericq vécut jusqu’à 95 ans.

Le naufrage de Binot Paulmier de Gonneville l’amena à faire une « relation » de voyage, racontant le préjudice dont il souffrit et quelques détails de ce qu’il rencontra. Ce récit ne fut retrouvé qu’au XIXème  siècle, dans la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris ; il s’agissait d’une copie authentifiée par les notaires de Rouen, répondant à une demande du roi Louis XIV. Cette demande fut faite pour le compte de l’un de ses collaborateurs, l’influent abbé Jean Paulmier de Courtounne, arrière-petit-fils de l’indien Essomericq. La raison de cette demande est qu’en 1658, l’illustre chanoine avait trouvé surprenant qu’on lui réclamât un impôt appelé « droit d’aubaine », que les les étrangers devaient au roi de France. Seul le récit de Gonneville pourrait éclairer la situation de cette famille noble qui se disait descendante d’un « prince » (souvenons-nous qu’Essomericq était le fils d’un chef indien, associé, dans la culture française, à un roi).

L’abbé a alors sollicité à Rouen une copie authentifiée de ce récit, ce qui lui fut refusé, vu que le document était classé secret car il faisait référence à la découverte de nouveaux territoires. C’est pour cela que le roi Louis XIV dut intervenir. Profitant de l’occasion, l’abbé écrivit un mémorandum en vue d’obtenir un financement pour un nouveau  voyage vers les territoires que ses ancêtres étaient censés avoir découverts en 1504.

De nombreuses démarches furent effectuées, mais on ne savait pas que ces terres étaient celles de Santa Catarina. Les navigateurs durent se baser sur la transcription de l’abbé Paulmier et ce dernier fit une erreur, en disant que le capitaine de Gonneville avait dépassé le Cap de Bonne Esperance… De ce fait toutes les expéditions échouèrent. Et la clarification de la localisation des territoires découverts par le Normand vint finalement de l’historien et géographe Armand d’Avezac, qui publia et commenta la Relation de Gonneville en 1869. Celle-ci fut traduite en portugais par Tristão de Alencar Araripe en 1886.

Malgré toutes les recherches et le sérieux du livre de Leyla Perrone-Moisés sur le sujet, As vinte luas, publié au Brésil et en France, en 1992, une polémique enfla sur la véracité du voyage entrepris par le capitaine de Gonneville et la descendance de l’Indien Essomericq. Il ne s’agissait en fait que des conséquences des conclusions personnelles de Monsieur Jacques Levêque de Pontharouart, qui furent rapidement mises à l’épreuve par des chercheurs français et vivement contestées et discréditées, puiqu’elles n’étaient basées sur rien de concret.

Au Brésil, l’historien de Santa Catarina, Amílcar D’Avila de Mello, consacre un chapitre au voyage de Gonneville dans son œuvre monumentale sur les origines de l’Etat au XVIème siècle. Avec à propos, Amílcar indique qu’il est possible que les baies de Guaratuba et de Paranaguá soient celles où les pionniers français ont jeté l’ancre. Ceci ne fait pas obstacle à la possibilité que ce soit, en fait, la baie de Babitonga. De plus Amílcar dit clairement : « Même si nous ne pouvons pas encore déterminer avec précision l’endroit visité par ces pionniers, ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’ils ont touché la côte brésilienne en un point situé au sud du tropique du Capricorne. Dans cette région, qu’ils appelaient les « Indes Méridionales », ils furent reçus amicalement par les autochtones. » (Expedições – Santa Catarina na era dos descobrimentos geográficos, volume 1, page 159, Expressão, 2005).

La venue du jeune Indien en Europe représentait une opportunité  pour qu’il apprenne à manier les armes et autres dispositifs. Selon Amílcar D’Avila : « Pour les Européens, il fallait promouvoir ces « stages » d’indigènes dans leur civilisation pour qu’il apprennent bien leurs langues, religions et coutumes. Préparés pour agir comme des médiateurs culturels, les autochtones aideraient ensuite à faire le compte-rendu à leurs peuples des merveilles qui existaient de l’autre côté de l’océan et, de cette façon, accélereraient la conquête pacifique de leurs terres. » (Expedições, page 161)

Du côté des Indiens, on ne sait pas grand-chose. Le dernier chapitre du livre de Leyla Perrone-Moisés, intitulé « Le silence d’Essomericq » incite à la réflexion à propos du devenir de cet indigène lorqu’il fut installé en Normandie au XVIème siècle. Ce que la chercheuse appelle « la seule page rose » de la colonisation et dit à propos du premier Indien amené en France est réellement incomparable. Dans cette histoire d’adoption et d’acculturation, on ne sait rien des impressions de l’homme de la forêt. Avec le temps, sa propre descendance l’assimile à un « prince », fils d’un roi.

De ce côté de l’Atlantique, où Gonneville a peut-être rencontré les sauvages, on peut noter que la ville de São Francisco do Sul a commémoré les 500 ans de sa fondation en 2004, en prenant comme référence sa découverte par les Français en 1504. Un institut local : « Binot Paulmier de Gonneville » a invité, à l’époque, le maire d’Honfleur pour les commémorations. Il existe une relation d’enchantement mutuel d’un pays pour l’autre, certainement basée sur l’exotisme d’une ancienne rencontre entre des Indiens et des Français qui, sans le savoir, ont lancé la mondialisation. Avec ses avantages et ses maux, sans aucun doute.

Pour en savoir plus :

MELLO, AMÍLCAR D’ÁVILA DE. Expedições. Santa Catarina na era dos descobrimentos geográficos, 3 vols., Florianópolis, Editora Expressão, 2005.

PEREIRA, Carlos da Costa, História de São Francisco do Sul, Florianópolis, Editora da UFSC, 2004.

PERRONE-MOISÉS, Leila As Vinte Luas, SP, Cia. das Letras, 1992.

SANTOS,  Silvio Coelho dos, NACKE, Anelise e REIS, Maria José, Muito além da viagem de Gonneville, Florianópolis, Editora da UFSC, 2004.